De 2000 à 2002 Je jouais presque de façon journalière aux échecs dans un café situé près de la Bourse à Bruxelles qui se nomme « Le Greenwich ». Ce café traditionnel Bruxellois était un « monument historique » pour le jeu d’échecs. Maîtres et amateurs de tout âge s’y retrouvaient pour jouer ensemble. Il n’y avait pas de musique et c’était encore l’époque ou l’on fumait dans les cafés Bruxellois. C’est dans cet endroit que j’ai rencontré pour la première fois Gabriel.
Je jouais régulièrement contre lui et nous avions disputé à cette époque plusieurs dizaines de parties d’échecs.
Je me souviens que l’on ne parlait pas, on se disait bonjour, on s’offrait de temps en temps un verre et toutes nos discussions se limitaient à nos batailles sur l’échiquier. Gabriel était un joueur agressif dans son style de jeu.
Il aimait l’attaque et jouait souvent le gambit du roi. Pendant les parties il était concentré sur les coups à jouer et lorsqu’il voyait une combinaison il devenait expressif, murmurait quelques fois des mots et prenait un malin plaisir à dire « échec » haut et fort .
Nous nous sommes apprivoisés dans un premier temps grâce à cette passion qui nous unissait. Un jour nous avons enfin pris le temps de parler avec des mots … et ce soir là j’ ai découvert un autre homme.
Gabriel avait un accent (il était colombien) et il aimait l’alcool et la cigarette. Peut-être Gabriel était-il un chaman qui utilise l’alcool et le tabac pour pénétrer le monde des mystères ?
Ce soir là il m’a lui même enivré de ses paroles et sans voir le temps passer nous avons discuté pendant six heures d’affilées! Gabriel me disait être venu ici en Europe pour étudier Paracelsus dans sa langue natale.
Il évoquait le nom entier de ce personnage central de l’alchimie de façon parfaite: « Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim ». Il connaissait le nombre d’or par cœur au chiffre centésimale près (1,6817) D’ailleurs ce soir-là il m’en fit une démonstration mémorable. Il prit un carton de bière et demanda un bic au comptoir du bar, il s’arracha un cheveux et l’enroula autour du bic et il y fit un petit nœud pour en faire une sorte de compas. Avec cet outil précaire si fin et fragile, il me dessina sous mes yeux ébahis toute une construction géométrique basée sur le nombre d’or. Cela revêtait presque du miracle ! Au final le dessin était une sorte de coquille d’escargot ( une spirale).
Nous pouvons d’ailleurs voir un clin d’œil au nombre d’or dans le tournesol qui se trouvait dans le dos de sa statue de Bouddha. Car la structure du tournesol est un exemple souvent repris pour démontrer le nombre d’or.
Cette anecdote au bar du Greenwich était aussi restée gravé dans sa mémoire car il m’en parlait sur
« messenger » peu de temps avant notre dernière rencontre.
Gabriel aimait philosopher entre des nuages de fumée bleue et j’ai retenu quelques unes de ses histoires.
Voici de mémoire quelques histoires que Gabriel me raconta avec son accent typique et sa gestuelle si caractéristique !
Gabriel me dit : « un jour je venais de finir un travail pour quelqu’un, j’avais fabriqué un mur. »
L’homme pour qui j’avais fait le travail arriva et me dit:
« C’est un très beau travail Gabriel ! Combien je te dois pour le temps que tu as passé à travailler ?».
Gabriel se tendit et l’expression de son visage se crispa.
« Rien !! » s’exclama Gabriel en me fixant dans les yeux! Et il continua , « Pour le temps, ……rien !!! » reprit Gabriel.
« Mais pourquoi? » dit l’homme.
Et Gabriel , presque debout sur sa chaise , penché vers moi les deux mains sur la table, reprenant l’expression du moment s’exclama encore :
« Monsieur ! il n’y a pas assez d’argent dans tout l’univers pour m’acheter une seule seconde de mon existence! »
Quel esprit magnifique avait notre ami ! Cette réplique à l’opposé de la célèbre expression: « le temps c’est de l’argent » a marqué mon esprit jusqu’à présent et j’ai moi même raconté cette histoire à beaucoup de mes amis.
Voici une autre histoire qu’il me raconta plusieurs fois :
Gabriel me dit :
« La vie c’est la respiration! » en disant cela il me fixait toujours du regard et faisait de grande inspiration et expiration.
je l’écoutais interloqué par la banalité de son affirmation.
Gabriel reprit: « Il y a beaucoup d’hommes qui, le jour de leur propre mort, donneraient tout ce qu’ils ont, tout leur argent, pour juste « une » respiration de plus. Mais ce jour là, ils ne l’auront pas! »
Gabriel m’évoquait par là que la vie était comme un souffle, un mouvement et que le jour ou cela s’arrête, tous les trésors du monde ne peuvent acheter un instant de plus. La vie était le véritable trésor pour Gabriel. Simple et vrai ! Gabriel m’a aussi souvent parlé de la mort de son fils. Son fils était mort à 22 ans d’un empoisonnement au Co2. Peut-être que c’est cet événement qui le tourmentait et qui lui faisait faire cette digression entre la vie et la respiration. Gabriel m’évoqua encore la mort de son fils à notre dernière rencontre avec beaucoup d’émotion lorsque je lui avait fait remarqué la précarité de son chauffage au bois dans sa toute petite chambre. C’était la seule pièce chauffée…
En 2010, Gabriel m’invita à l’aider à creuser ce qu’il appelait son « trou ». Il avait ce projet de vivre dans un potager à Uccle et d’aménager ce qu’il appelait un « trou ». Finalement je me rends compte que je ne sais pas exactement pourquoi Gabriel avait fait ce choix de vie. Il voulait peut être s’éloigner du tumulte de la ville.
Mais il y avait sans doute d’autres raisons que j’ignore.
Je suis donc allé le retrouver sur ce bout de terrain à la terre tendre et sablonneuse et nous avons creusé un grand trou. Il voulait ensuite construire une cabane pour y vivre.
En l’aidant à creuser son « trou », je lui dis comme ça.
« c’est pas une tombe j’ espère » et je continua avec un question « tu penses souvent à la mort? ».
Là- dessus Gabriel me répondit toujours avec le même accent et force d’intonation.
« Je vie ma mort à chaque jour de ma vie » !
Vivre sa mort, qu’est ce que cela voulait-il bien dire ? La vie inter-liée à la mort dans cette phrase mystérieuse dont seul Gabriel détenait le sens ultime. Je ferais remarquer que dans cette phrase le mot vie apparaît deux fois. Gabriel était un homme de vie et qui avait su s’ entourer du vivant et de lumière. Il avait construit sa cabane quasiment que de vieux châssis afin que la lumière y pénètre facilement.
Je me souviens aussi d’un jour ou Gabriel déchira un morceau de papier et me demanda d’ écrire les cinqs choses les plus importantes pour moi dans la vie et de les poser sur la table (la table étant censée me représenter) . Alors je m’exécuta et une fois fini, il me demanda :
« sur quoi repose ces choses importantes? ». Je lui répondit qu’il était sur la table.
Il me demanda à nouveau : « Sur quoi repose la table ?» Je lui dit que la table reposais sur ses pieds de table.
« Et les pieds de la table , repose sur quoi ? »
Sur le sol
« et le sol , repose sur quoi? »
Sur la terre
« Et la terre , elle repose sur quoi ? »
Elle est dans l’univers ?
« Et l’univers repose sur quoi ?? »
….
Cela m’interloqua , car je ne comprenait pas bien ou il voulait en venir. Et d’ailleurs je n’ai pas vraiment de réponse à ce qu’il essayait de me dire car il voulait que je trouve ma propre réponse à cette énigme. L’univers reposerait -il en moi ? C’était comme une espèce de réflexion fractale. Je suis dans l’univers et l’univers est en moi. Le microcosme et le macrocosme unis dans l’homme…
Gabriel s’ intéressait à la permaculture, il voulait faire des expériences d’ electroculture me disait-il au mois de décembre 2017. J’ avais hâte de lui présenter mon fils de 14 ans car lui aussi commençait la permaculture et s’intéressait aux plantes. Il faisait de petites sculptures en argile ( pleine de sensualité me disait-il) , des peintures à l’alcool (comme son Dragon vitraux ), il faisait des herbiers. Il avait appris l’acupression et encore bien d’autres choses que je ne sais sans doute pas. J’ai appris par un de ses amis qu’il voulait faire des huiles essentielles… Gabriel était un homme plein de projets.
Gabriel n’ était pas en accord avec l’ Église catholique, il m’avait un jour parlé d’une vision qu’il avait eu des cathares que l’église avait éradiqués lors de ses inquisitions. Il avait vu tous ces hommes debout se tenir devant lui et il avait ressenti leurs souffrances. Il n’était pas plus en accord avec l’Islam qui pour lui privait de liberté les femmes. Disons qu’il n’était pas en adéquation avec certains agissements exercés au sein des grandes religions, mais sans pour autant être intolérant car il respectait les individus et la pensée de tous.
Mon ami, j’ai ressenti en toi un besoin profond de me revoir une dernière fois en ce moi de Décembre 2017. Tu m’as semblé être en besoin de compagnie. Peut-être sentais-tu que c’était une dernière occasion de partager et de jouer ensemble aux échecs. Je me souviens ce jour là, la joie que tu as eu de me voir arriver avec une citrouille de mon potager que je venais t’offrir en cadeau ! En fin de journée, j’avais fait une liste de choses dont tu avais besoin. Tu cherchais des barres de fer pour arranger une des toitures de la cabane, tu voulais aussi un amplificateur de connexion internet qui t’ aurait permis de mieux te connecter à internet. Ensuite nous avons joué et ensuite je suis rentré chez moi. Ce soir là tu m’as téléphoné pour me remercier une nouvelle fois d’ être venu te voir et d’avoir fait la liste de ce qui te manquait. Tu avais été très touché par mon intention et mon intérêt et tu m’a gratifié de toute ta reconnaissance. Mais finalement je n ‘ai pas eu le temps de combler tes besoins et je le regrette.
C’est en allant voir le profil « facebook » de Gabriel que j’ai appris son départ.
J’allais justement lui écrire pour lui fixer une date de rencontre. Et puis voila le destin, lui, n’attend pas…
J’ai parcouru ses photos et j’ai vu quelques clichés que Gabriel avait pris et partagés. Ses photos sur la neige ou sur le gel , la structure de cristaux qui couvrait ses vitres , sont sans doute le reflet de l’intérêt que Gabriel portait au fractal et au nombre d’or. Il avait un intérêt contemplatif pour les choses à la fois simples et complexe de la nature.
Photo prise par Gabriel… elle montre son intérêt pour le fractal mais aussi la rudesse du froid qu’il affrontait durant les hivers passés dans sa cabane.
Dans cette photo, soyez attentif et regardez comment la cime des arbres et le dessin formé par le gel se marie parfaitement! Gabriel avait vu ce détail et voulait nous le montrer. C’était ce genre de chose qui l’emerveillait…
Merci de ce beau temoignage. Quiconque est connu Gabriel le retrouvera dans ton recit.
Bonjour,
Merci aussi à vous d’avoir réagi à cette article. Vous êtes de la famille ou un ami de Gabriel?
Amitié
Pascal
oh! c’est vrai que Gabriel est décedé?
Je cherchais à le joindre ou avoir ses nouvelles depuis longtemps mais personne ne savait rien. Je lui connaissait aussi du Greenwich pour les echecs mais il était tellement bohème que je pensais à un voyage quelque part … n’imaginais pas qu’il était decedé.
Savez-vous ce qui lui est arrivé?
Bonsoir,
Il a été retrouvé mort dans son Jardin hélas…
J’ai tenté de retracer quelques moment passé avec lui. Si vous avez des témoignage n’hésitez pas.